mercredi 2 mai 2007

Le texte sur le choc Culturel...

Accommodement
Le choc culturel

Titulaire d’un doctorat en
sciences de l’éducation, Mekki
Merrouni est formateur du SEIIM.
Il s’intéresse plus particulièrement
à l’interculturel et l’éducation en
milieu pluriethnique.
PAR: Mekki Merrouni



L’automne 2006 a été marqué par
un large débat médiatique sur la
pertinence et la légitimité de certains
« accommodements » accordés à des
groupes appartenant aux communautés
culturelles. On pense, entre
autres, aux polémiques générées par
la demande d’un lieu de prière pour
les étudiants musulmans de l’UQAM,
le givrage des vitres d’un YMCA de
Montréal et l’absence de pères dans
une formation prénatale.
Jusqu’où faut-il aller dans les pratiques
d’accommodement, se demandaient
certains protagonistes du
débat. La tolérance de la société
canadienne n’est-elle pas excessive au
point de nuire à sa cohésion et à son
identité ? Pourquoi les communautés
culturelles ne feraient-elles pas un
effort d’adaptation aux valeurs et aux
normes de la société d’accueil ? Après
tout, ce sont elles qui sont venues ici…
Certaines de leurs demandes d’accommodement
semblent « irrationnelles »
en plus d’être dérangeantes, voire
menaçantes pour l’équilibre social.
Ces réactions dénotent de l’agacement
et de la colère et comportent
une menace : celle de déboucher sur
un affrontement ouvert et peut-être,
à terme, violent, entre les membres de
la société d’accueil et les groupes des
communautés culturelles.

Qu’est-ce qui explique cette situation de
malaise social ? Dans quelle mesure une
approche de communication interculturelle
peut-elle aider à voir clair dans cette
problématique ?
Les réflexions qui suivent sont inspirées
principalement des travaux de J. Hohl et
M.Cohen- Emerique.*
La rencontre interculturelle
L’immigration étant une réalité quotidienne
de la société canadienne actuelle,
l’intégration des immigrés au tissu économique,
social et culturel s’impose comme
une condition nécessaire au développement
et au bon fonctionnement de
la société. Cette intégration exige une
grande compréhension, une grande tolérance,
une reconnaissance de ce qu’est
l’autre dans sa spécificité culturelle et
dans sa trajectoire migratoire.
Or, la compréhension de ce qui est différent
de soi n’est pas chose aisée ; c’est
un processus long et difficile qui doit
s’apprendre patiemment à travers des
expériences pas toujours agréables. Il
éveille chez l’individu des résistances à
cause des changements qu’il oblige à
introduire dans sa façon de voir et de
faire les choses. Il permet cependant une
prise de conscience de soi et de l’autre
dans leurs différences. L’on découvre
alors les obstacles à la compréhension
mutuelle: préjugés et stéréotypes, ethnocentrisme,
modèles professionnels de
pensée et d’action.
Dans le cadre de l’interculturel, la rencontre
entre l’immigrant et le représentant de
la société d’accueil est posée comme une
interaction entre deux sujets porteurs de
cultures différentes, c’est à dire de systèmes
de représentations, de valeurs et
de croyances différents. Il s’agit d’une
interaction entre deux identités qui se
donnent mutuellement un sens. C’est
un processus dynamique de confrontation
identitaire qui peut évoluer vers un
affrontement identitaire, une « dynamite »
identitaire.
Comment cela se passe-t-il ? Dans sa rencontre
avec l’autre, l’individu vient avec
une grille de lecture des événements et
des personnes qui est le produit de ses différentes
appartenances et de ses diverses
expériences de vie, autrement dit, avec un
ensemble de « filtres » et d’ « écrans » qui,
d’emblée, créent des distorsions et des
malentendus. Cette interaction a, en plus,
toujours lieu dans un contexte déterminé
souvent chargé d’histoire : dominantdominé,
majoritaire-minoritaire, développé-
sous-développé, etc.
Apparaissent alors des « zones sensibles »
chez les partenaires de l’interaction. Il
n’utilisent pas la même langue de communication,
ont des représentations
différentes de l’espace et du temps, des
relations entre l’homme et la femme,
entre l’enfant et l’adulte, des conceptions
différentes de l’individu, de la famille et
de la société ainsi que de la place de la
religion dans la vie quotidienne, etc. D’où
un malentendu inévitable dans l’interprétation
des situations, des gestes et comportements.
Il se produit alors chez eux
un « choc culturel ». Le choc culturel est
quelque chose qui ébranle la personne,
la touche au plan émotionnel, l’interpelle,
voire la menace dans son identité. Il est
généré par une situation de communication
dans laquelle l’un des partenaires
ou les deux sont surpris, déstabilisés
mentalement et émotionnellement par
la réaction de l’autre. On peut envisager
les réactions suscitées par les accommodements
accordés aux groupes des
communautés immigrantes comme des
manifestations de choc culturel.
La méthode du choc culturel
J. Hohl et M. Cohen-Emerique ont développé
justement une méthode de traitement
des chocs culturels. Il s’agit d’une
démarche en trois étapes: la décentration,
la découverte du cadre de référence
de l’autre et la médiation/négociation
culturelle.
1) la décentration
Dans la décentration, l’intervenant de
la société d’accueil procède à un travail
de distanciation par rapport à soi-même
et à sa société en tentant de prendre
conscience de ses cadres de référence
en tant qu’individu (ou groupe) porteur
d’une culture et de sous-cultures toujours
intégrées dans sa trajectoire propre. Il
s’agit pour lui de faire émerger les représentations
issues de son propre système
de valeurs et de normes, de ses préconceptions
et préjugés. Ces représentations
sont souvent inconscientes et constituent
pour la personne des références familières
qui vont de soi. La distanciation permet
une certaine « neutralité culturelle » par
rapport à ses propres référents.
Un outil de formation a été développé
par J.Hohl et Cohen-Emerique à l’intention
des intervenants auprès des
groupes immigrants : c’est l’analyse des
chocs culturels qui vise, d’une part, à
cerner chez l’intervenant son « cadre de
référence », d’autre part à déterminer ses
« zones sensibles », celles en particulier ou
le professionnel a le plus de mal à communiquer
avec le migrant, ou les malentendus
sont fréquents et violents.
2) la découverte du cadre de référence
de l’autre
Dans la deuxième étape, l’intervenant
tente de pénétrer dans le système de
l’autre, de le connaître de l’intérieur. Il
a recours à la méthode ethnologique
qui consiste à décrire du dedans, le plus
objectivement possible, un peuple ou un
milieu donné avec son système de représentations
et ses modes de vie tout en se
méfiant de l’immixtion de ses propres
référents culturels. Il se heurte alors à ses
propres normes de relations familiales, à
ses modèles d’individuation et aux découpages
conceptuels préalables tributaires
de ses normes et modèles familiaux.
3) la négociation/médiation culturelle
La négociation culturelle se fait au cas
par cas. Elle consiste en la recherche d’un
minimum d’accord ou chacun se voit respecté
dans ses valeurs de base, tout en se
rapprochant de l’autre.
Pour être efficiente, elle doit respecter
deux conditions fondamentales : considérer
le migrant comme un partenaire et
faire en sorte qu’il le soit effectivement ; se
réaliser selon une méthodologie de travail
maîtrisée en matière de négociation et de
médiation.
Bien que la négociation culturelle ne soit
pas un remède miracle (elle ne peut pallier
par exemple les dysfonctionnements
sociaux et l’inadéquation des institutions
devant les besoins de certains types de
populations), elle demeure une approche
indispensable pour l’intégration des
immigrants. Elle crée des espaces-temps
de dialogue, les migrants peuvent se
reconnaître comme des acteurs inévitables
de la vie sociale sans lesquels
certains problèmes ne peuvent être
résolus, elle modifie la perception des
agents du système social et de l’éducation
par rapport aux familles et leur fait
découvrir une autre approche d’intervention
sociale qui est source d’ouverture et
d’enrichissement.
À notre sens, le malaise provoqué chez
des membres de la société d’accueil
par des « accommodements » jugés pas
toujours « raisonnables » s’expliquerait
d’abord par un déficit de communication
entre les partenaires de la rencontre interculturelle,
déficit qui pourrait être imputé
à des insuffisances, d’une part, dans le
travail de décentration, d’autre part, dans
le processus de négociation. ■

Réf:
MEKKI MERROUNI
*Cohen-Emerique, M.(2000). L’approche
interculturelle auprès des migrants.
In G. Legault : L’intervention interculturelle.
Gaëtan Morin Editeur, pp 161-184.
Cohen-Emerique, M. et J. Hohl (1999).
La menace identitaire chez les professionnels
en situation interculturelle : le déséqilibre entre
scénario attendu et scénario reçu.
Etudes ethniques au Canada, XXXI, n.1, 1999.
Hohl, J. (2005). Le choc culturel. Session de
formation à la TCRI, 21-22 septembre 2005.
Hohl, J. (2005). La menace identitaire en
situation d’intervention interculturelle. ession
de formation à la TCRI, 3-4 novembre 2005.
> suite de la page 1
un défi pour la coiffeuse qui ne sait pas
quoi faire avec.
Ce résident est musulman pratiquant,
ayant des pertes cognitives significatives.
Heureusement, sa famille s’occupe
de ses affaires pour lui. Celle-ci exige
qu’on ne lui serve pas la viande cachère
parce qu’il a droit seulement à la viande
halal. L’équipe se réunit, un intervenant
demande si on pourrait se procurer de
la viande halal, mais un autre rétorque
qu’il en est hors de question. « Si on servait
la viande halal à un musulman, il
faudrait servir l’espresso et le tiramisu
aux Italiens! On ne peut pas créer un
tel précédent ! »
Ces questions sont-elles d’ordre religieux,
culturels et relèvent-elles de
l’accommodement raisonnable ?
Des conseils pour les intervenants
D’abord, tout intervenant doit reconnaître
et respecter les différences de
culture et les épreuves auxquelles les
bénéficiaires font face. Avec un peu de
motivation et d’ouverture d’esprit, il est
possible d’atteindre ces objectifs.
Il est important et nécessaire de nous
renseigner davantage sur les communautés
ethnoculturelles auprès desquelles
nous travaillons. Demander
des conseils auprès de ses collègues,
poser des questions aux usagers et à
leurs proches, cela montre que l’on veut
mieux les connaître.
L’isolement n’est pas seulement un
problème pour les usagers venant de
communautés ethnoculturelles différentes.
Il est aussi un problème pour
les intervenants. C’est pourquoi la collaboration
est primordiale non seulement
au sein de l’équipe d’intervenants,
avec les bénéficiaires et leurs proches,
mais également avec les autres établissements.
Enfin, ne pas oublier que la
patience, mise au service du partage de
nos expériences et connaissances, sera
très certainement gage de réussite. ■

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